Chapitre VII

Chapitre VII

Les derniers préparatifs de la fête de charité s’achevaient, à l’hôtel de Mayonne. Dans la grande galerie décorée de boiseries sculptées et de panneaux des Gobelins, se dressaient d’élégants comptoirs, presque tous garnis déjà. Mme de Terneuil avait accepté d’en tenir un et, la veille de la fête, elle vint le préparer avec l’aide de Yolaine.

Quelques jours auparavant, elle avait présenté la jeune fille, devenue son amie, à Mme de Mayonne. Et, non sans peine, elle avait obtenu de Mme de Rambuges l’autorisation de la prendre comme vendeuse à son comptoir.

Nadiège prétextait que sa nièce n’avait pas de toilette, qu’elle était timide et sans expérience du monde. Mais Mme de Balde déclara qu’elle se chargeait de la toilette nécessaire, et que pour la timidité, pour l’inexpérience, rien n’était meilleur que de leur faire voir le feu.

Nadiège se rendit alors fort gracieusement, en assurant qu’elle s’en remettait tout à fait au jugement de la marraine de Yolaine… C’est ainsi que la jeune fille franchit le seuil de cet hôtel de Mayonne devant lequel, parfois, elle était passée, en pensant avec un petit battement de cœur que là habitait ce duc de Gesvres, dont le regard avait tant de puissance et de douceur, dont l’ardente intelligence, l’esprit si fin, la bonté charmeuse, l’élégance patricienne subjuguaient irrésistiblement tous ceux qui l’approchaient.

Elle l’apercevait parfois à l’église, et elle l’avait revu chez les Terneuil à plusieurs reprises. Car maintenant Fabienne, entrant tout à fait dans les vues de son mari et s’attachant de plus en plus à Yolaine, favorisait le secret désir d’Henry de mieux connaître Mlle de Rambuges en lui demandant de venir faire de la musique avec la jeune fille et elle-même.

Un soir, où Jacques retenait son ami à dîner, elle garda aussi Yolaine, en envoyant la femme de chambre prévenir Mme de Rambuges. C’était précisément la veille du jour où toutes deux devaient aller organiser à l’hôtel de Mayonne le comptoir de Mme de Terneuil. La soirée parut délicieuse à Yolaine, et non moins délicieuse à Henry. Discrètement mise par lui sur ce sujet, elle parla de son enfance, de son adolescence, des années passées dans la froide demeure de Mme de Stréaincourt. La chanoinesse, à la suite de grands chagrins, s’enfermait dans une sorte de retraite où elle ne voyait que deux ou trois vieilles amies. Elle était triste et sévère et, tout en ayant pour sa petite-nièce une affection véritable, elle ne l’avait pas rendue heureuse.

Cela, Yolaine ne le dit pas, mais Henry le devina. L’âme aimante, gaie et si vibrante, avait dû se replier sur elle-même, et c’était miracle qu’elle pût, de nouveau, s’épanouir aujourd’hui dans cette atmosphère plus favorable.

De Mme de Rambuges, Yolaine parlait le moins possible. Elle avait dit un jour à Fabienne :

« J’ai l’impression que cette femme n’est que perfidie et qu’elle tentera de me faire beaucoup de mal… »

Mais comme la comtesse, très prise par ses occupations mondaines, lui laissait maintenant beaucoup de liberté, elle n’avait plus du moins cette impression d’être tenue en geôle, qui lui était si désagréable à la Sylve-Noire.

En se rendant à l’hôtel de Mayonne avec Mme de Terneuil, le lendemain, elle songeait :

« Viendra-t-il ? »

Car M. de Gesvres lui avait dit :

« J’irai peut-être jeter un coup d’œil à la galerie, dans l’après-midi… »

Elle l’attendait, tout en aidant Fabienne à disposer sur le comptoir les menus objets de lingerie brodés par des femmes du monde dans le besoin. Pierre de la Rochethulac, venu pour juger du coup d’œil, papillonnait autour d’elle. Il la voyait pour la première fois et il formula son opinion à l’oreille de sa sœur :

Elle est fameusement jolie, cette petite sans-le-sou !

Françoise riposta :

Oui, mais ne perds pas ton temps à chercher un flirt avec elle, car elle est sérieuse comme une petite nonne. Va donc plutôt faire l’aimable près de doña Luisa.

Hélas ! je suis sans espoir de ce côté ! Comment veux-tu qu’elle se contente de moi, quand c’est Henry qu’elle aime !… Et le cruel dédaigne cette flamme brûlante ! Atroce ingratitude !

À ce moment Mlle Faravès, quittant son comptoir où une de ses amies achevait d’étaler des éventails, s’avançait vers le frère et la sœur. Elle demanda :

Est-ce que M. de Gesvres ne viendra pas voir ceci, aujourd’hui ?

Oh ! non, doña Luisa ! Mon frère ne s’occupe jamais de ces petits détails. Il les laisse aux humbles mortels comme nous.

Ah !… C’est dommage… c’est très dommage. Il a beaucoup de goût. L’autre jour, je lui ai demandé si ma robe lui plaisait ; il m’a répondu qu’elle serait bien si elle me permettait de marcher plus facilement, et si la garniture était de nuance moins vive. Alors je l’ai fait changer, et je la trouve en effet plus jolie maintenant

Françoise dit en riant :

Oh ! si vous demandez à Henry des conseils pour vos toilettes, vous n’avez pas fini ! C’est un censeur terrible. Il ne se gêne pas pour me donner son avis, et me dire que ceci ou cela lui déplaît.

Et vous l’écoutez ?

Pas toujours ! Il n’y aurait plus moyen de se mettre à la mode, avec lui ! Mais je reconnais qu’il a un goût très sûr, un sens très fin de l’élégance.

Alors, il faut suivre ses avis. Moi, je le ferais à votre place.

Pierre eut un petit rire amusé.

Oh ! doña Luisa, qu’entends-je là ? Que faites-vous de vos théories féministes ? Même en admettant que Françoise reconnût le bien-fondé de ces observations fraternelles, jamais elle ne devrait s’y ranger, par pur esprit d’indépendance.

Luisa répliqua prestement :

Certes, si ces observations venaient de vous. On ne doit admettre d’être influencé que par la supériorité !

Françoise se mit à rire, tandis que Pierre murmurait, d’un air moitié fâché, moitié amusé :

Allons, voilà qu’on me lance une fois de plus ce pavé sur le crâne ! Mais vous savez, je m’en passerais bien, moi, d’avoir un frère tellement supérieur !

Luisa riposta d’un ton d’ironie légèrement méprisante :

Je le comprends !

Et elle retourna à son comptoir, tandis que Pierre, secrètement furieux, se rapprochait de Yolaine très affairée au milieu de ses dentelles.

Vers la fin de l’après-midi, quand on eut pris le thé, il ne resta plus autour de Mme de Mayonne que Mme de Terneuil, Mlle de Rambuges et la princesse Seskine, attardées à causer dans le petit salon de la duchesse. Françoise emmena Yolaine dans la galerie pour lui montrer une des aquarelles exposées à son comptoir. Ce fut là que les trouva M. de Gesvres, quand il apparut peu après. Françoise ne cacha pas sa surprise.

Toi, Henry ? Tu viens nous donner ton avis !

Je crois qu’il serait inutile. Ces jolis arrangements ne regardent que vous, mesdemoiselles.

Oh ! puisque tu donnes des conseils à Mlle Faravès pour sa toilette !… des conseils qui sont suivis, mon cher !

Il eut un léger froncement de sourcils, en regardant sa sœur avec un peu d’impatience.

Qu’est-ce que cette histoire ? Elle m’a demandé mon avis sur sa robe, je le lui ai dit, en atténuant un peu, par politesse, mon opinion à ce sujet. Mais j’imagine que tu ne me crois pas assez sot pour me poser en oracle des modes féminines ?

Je ne veux pas dire cela du tout, mon ami. Et tu as eu parfaitement raison de glisser ce petit conseil à doña Luisa, très portée à exagérer nos exagérations elles-mêmes. Réellement, elle devient un peu moins excentrique, depuis quelque temps.

Eh bien ! tant mieux pour elle… Vous regardiez les aquarelles de Françoise, mademoiselle ? Il y a là, je crois, un échantillon du talent de toutes ses amies.

Mlle de la Rochethulac dit en riant :

Oui… et même du mien. Mais je ne te dirai pas lequel, Caton le censeur, pour ne pas encourir ta critique.

Peut-être te l’achèterai-je demain, sans le savoir.

Peut-être… Et tu me le rendras ? Il servira pour une autre occasion semblable.

Évidemment. Que veux-tu que j’en fasse ?… Mais donnons donc plus de lumière, pour voir l’effet…

Il alla tourner les commutateurs et la superbe galerie s’éclaira soudainement, dans toute sa profondeur. Les comptoirs coquets apparurent en pleine lumière. Ils formaient un ensemble clair et gracieux dans la somptuosité du décor… Le regard de Yolaine s’attacha longuement aux panneaux de tapisserie, aux peintures délicates dont les ors adoucis brillaient discrètement, sous la lumière. La jeune fille murmura :

Que cette galerie est belle !

Elle tourna vers Henry ses grands yeux où l’admiration venait de mettre un éclat plus vif. Alors, il lui fit remarquer quelques détails de ces beautés qui frappaient si vivement sa fine nature vibrante. Elle l’écoutait avec une attention profonde, et il avait l’impression, déjà ressentie à ses précédentes rencontres avec elle, d’être compris avant d’avoir parlé. Françoise était retournée à son comptoir, dont elle modifiait l’arrangement. Ils restaient seuls un peu plus loin… Yolaine paraissait plus jolie que jamais, aujourd’hui, dans ce cadre d’aristocratique splendeur. Elle avait déjà repris meilleure mine, une délicate rosée montait à son teint d’une si vivante blancheur, auquel seyait admirablement le voisinage du velours noir dont était fait son costume — cadeau de sa marraine. Plus de gaieté, plus de vie animaient le bleu velouté de ses yeux, sur lesquels tremblaient les longs cils bruns. Et Henry, près d’elle, sentait l’ardent frémissement de sa jeunesse. Il se disait :

« Je l’aime. C’est elle qui sera ma femme, si elle le veut. »

Il ne se dissimulait pas qu’il aurait à lutter pour obtenir le consentement de son père. Mais avec un tel amour au cœur, il serait patient et invincible.

Ce n’était pas de ce côté que se portaient ses principales inquiétudes. Il se demandait de quel œil Mme de Rambuges verrait ce mariage et ce que sa jalouse colère imaginerait pour l’empêcher. Car, si dénué de fatuité qu’il fût, il lui était impossible de ne pas s’apercevoir des sentiments très peu déguisés de la jeune femme à son égard.

Avec une habileté patiente, elle arrivait à se trouver sans cesse sur ses pas. Elle s’insinuait parmi les relations intimes de Mme de Mayonne, se faisait bien venir de celle-ci et surtout de Françoise, dont elle flattait l’orgueil intellectuel. Partout, on vantait son charme, son intelligence, son originalité. Les hommages masculins ne lui manquaient pas. Mais elle n’acceptait aucun flirt… Et l’on s’était vite aperçu que tous ses regards, toute son attention se portaient sur le duc de Gesvres, partout où elle le rencontrait. La hautaine froideur du jeune homme ne semblait pas la décourager. Elle avait toujours pour lui le même regard de passion câline, les mêmes paroles de subtile flatterie. Et Henry, méprisant et secrètement irrité d’abord, commençait de s’inquiéter au sujet de Yolaine, car plus il voyait cette femme, plus il comprenait qu’elle ne laisserait pas, sans lutte, sa nièce devenir l’épouse de l’homme qu’elle aimait.

* * *

Nadiège était là encore, une des premières, à la fête de charité. Elle portait un costume de velours fauve, sur lequel s’enroulait une fourrure de même teinte. Un petit bonnet de fourrure coiffait les cheveux blonds, soyeux et si pâles. Pierre de la Rochethulac, en lui baisant la main, déclara :

Vous êtes ravissante !

Elle sourit à peine. Son regard cherchait la haute silhouette élégante, le beau visage viril et fier de l’aîné. L’approbation, le compliment de celui-là lui importaient seuls. Mais il n’avait pour elle qu’un mot banal, un coup d’œil indifférent Et dans le grand manchon fauve, les mains de Nadiège, les jolies mains souples, toujours nues — car elle avait l’originalité de ne jamais porter de gants — se serraient nerveusement.

Mme de Mayonne avait bien auguré du snobisme de ses contemporains. On se pressait en cohue dans ses salons, en dépit du prix très élevé auquel étaient taxées les cartes d’entrée. Bien que ce prix fût doublé pour l’audition de la conférence, le grand salon dit “du maréchal”, à cause d’un portrait du maréchal de Mayonne surmontant la monumentale cheminée sculptée, était absolument comble quand Henry, quittant le groupe d’hommes avec lesquels il s’entretenait, s’avança pour commencer à parler.

Il n’avait pas voulu de table, ni de siège. Très simple, très à l’aise, il s’adossait à la cheminée, en tenant sous son regard profond et calme l’auditoire élégant, où se trouvaient de très illustres personnalités… Là, à droite, il voyait le pelage fauve de Nadiège. Un peu plus loin, près de Mme de Terneuil, le charmant visage de Yolaine apparaissait dans l’ombre d’un grand chapeau noir… Et ce fut pour elle qu’il parla. Il avait choisi comme sujet : “La France en Orient”. Sa foi de chrétien, son ardent patriotisme trouvaient là un incomparable terrain. Tous deux lui avaient inspiré un admirable morceau d’éloquence, où la sobre beauté du style le disputait à la concision, à la superbe vigueur de la pensée.

La voix aux intonations chaudes, souples, merveilleusement nuancées, achevait de tenir sous le charme cet auditoire, en partie frivole, blasé, indifférent aux nobles pensées qui occupaient l’esprit d’Henry, mais subissant la séduction physique et morale du conférencier, comme celle de la phrase harmonieuse qui faisait tressaillir d’aise les connaisseurs.

Des applaudissements enthousiastes accueillirent la péroraison. Aussitôt entouré, le jeune homme reçut les félicitations les plus flatteuses… Yolaine se tenait modestement à l’écart. Elle frissonnait encore, et son regard conservait un vif reflet de l’émotion profonde que M. de Gesvres y avait vue, pendant qu’il parlait. Ah ! celle-là l’avait compris tout entier, il le savait ! Et les compliments sans nombre qu’il recevait ne valaient pas, pour lui, le seul regard de ces yeux magnifiques, qui renfermaient tant de pure lumière, tant de noble intelligence du bien et de la beauté.

Avec une courtoisie aux nuances diverses, d’après ceux auxquels il s’adressait, Henry remerciait, répondait aux paroles aimables ou chaleureuses. Un prince du sang royal de France dit très haut, en lui serrant fortement la main :

Il faudra que nous vous entendions à la tribune du Parlement, monsieur le duc. Vous devez mettre au service de votre pays le superbe talent oratoire qui vient de nous être révélé aujourd’hui.

Il y eut un murmure approbateur autour d’eux.

M. de Mayonne avait peine à cacher son orgueilleuse satisfaction. Décidément, cet aîné lui faisait singulièrement honneur. Et peut-être ne fallait-il pas trop regretter qu’il eût refusé doña Luisa. Il y avait là une jeune grande-duchesse qui semblait le considérer avec beaucoup de complaisance et qui avait très joliment rougi en lui adressant de charmantes félicitations, tout à l’heure.

Précisément, la mère de cette aimable princesse demandait à Henry son bras, pour la conduire vers la galerie où les vendeuses, prestement, venaient de reprendre leur poste. Les invités, de nouveau, se répandaient dans les pièces superbes, allaient vers les attractions diverses. D’autres gagnaient le buffet où d’élégantes jeunes femmes, aidées par d’imposants maîtres d’hôtel, vendaient le plus simple rafraîchissement au poids de l’or. Et la chaleur, les parfums mêlés, commençaient de rendre l’atmosphère irrespirable.

Des enfants, chargés de vendre des fleurs, circulaient, tenant en mains des corbeilles bien garnies. Il y avait là le petit Henriot, tout ravi, que suivait sa gouvernante anglaise. Henry l’aperçut qui se glissait entre les groupes, en tendant timidement sa petite corbeille enrubannée. Il s’avança et dit à mi-voix à la gouvernante :

Ne laissez pas cet enfant dans une telle atmosphère, miss Jenny, emmenez-le en haut et faites-le goûter tranquillement.

Henriot, qui avait entendu, s’écria d’un ton suppliant.

Oh ! non, mon parrain ! Regardez, j’ai encore beaucoup de fleurs ! Il faut que je les vende.

Ce n’est pas indispensable. Tu vas t’en aller avec miss Jenny, comme je viens de le dire.

L’enfant ne protesta plus. Il savait inutile de résister. Docilement, il laissa prendre sa main par la gouvernante. Mais Henry l’arrêta du geste…

Attends un peu. Puisque tu es très obéissant, je vais te faire vendre tes fleurs. Tu vas voir.

Il jeta un coup d’œil autour de lui… La foule élégante, caquetante, formait des groupes, ou bien allait et venait, lentement, le long de l’immense galerie toute grouillante. Henry murmura, avec un léger sourire d’ironie :

Attendez, je vais le faire servir à quelque chose, votre snobisme !

Il prit une rose dans la corbeille d’Henriot et l’éleva entre ses doigts…

Je vends ces fleurs aux enchères, pour les petits orphelins d’Arménie. Cette rose, vingt francs. Qui met au-dessus ?

Guy de la Rochethulac, se penchant vers son cousin Pierre, dit avec un rire étouffé :

Il a une idée magnifique, ton frère ! “Elles” vont se disputer ses fleurs, et l’escarcelle des orphelins sera bien garnie.

De fait, roses, œillets, lilas, et même simples brins de mimosa, s’enlevaient rapidement, tandis que pièces d’or et billets tombaient dans la corbeille d’Henriot émerveillé.

Guy, voyant cela, se glissa à travers les groupes et alla chercher une petite fille dont la provision de fleurs était à peine entamée. Il l’amena près de son cousin, en disant :

Puisque tu t’entends si bien à la vente, mon ami, en voilà d’autres.

Et celles-là partirent de même. Un souffle de folie avait passé sur toutes ces têtes féminines. Il fallait, coûte que coûte, avoir une de ces fleurs vendues par le duc de Gesvres, l’homme le plus en vue du moment. Bientôt, il ne resta dans la corbeille qu’une rose, fort belle, d’un blanc teinté de jaune. Guy, qui semblait s’amuser prodigieusement, laissa tomber d’un air négligent :

Ah ! c’est ta rosé préférée !

Et il jeta un coup d’œil narquois vers Mlle Faravès qui tenait déjà à la main plusieurs fleurs. Près d’elle une grande dame romaine, superbe jeune femme brune aux grands yeux noirs, avait enlevé à prix d’or tous les œillets rosés, qui ornaient maintenant sa jaquette de fourrure. Ce fut entre elles que bientôt se circonscrivit la lutte pour cette rose, quand les enchères eurent dépassé deux cents francs.

Cinq cents ! dit doña Luisa.

Sept cents !

Mille !

Deux mille !

Trois mille !

Cinq mille !

Dix mille !

Cette fois la jeune femme brune se tut. Henry tendit la rose à doña Luisa, en disant courtoisement :

Merci pour les petits orphelins, mademoiselle.

Je vous ferai remettre un chèque dès ce soir, monsieur le duc.

Veuillez l’adresser à ma mère, je vous prie. C’est elle qui centralise les offrandes… Allons, viens, Henriot, nous allons lui porter cela.

Il prit la main de l’enfant, qui serrait contre sa poitrine la précieuse corbeille. Tous deux passèrent entre les groupes, qui s’écartaient avec empressement devant eux, et rejoignirent Mme de Mayonne.

Celle-ci se mit à rire en voyant la corbeille que lui tendait l’enfant.

Voilà un appoint auquel je ne m’attendais pas ! Quelle excellente idée tu as eue, Henry. !

M. de Mayonne, qui s’approchait, dit à demi-voix, d’un air amusé :

On ne peut pas dire que tu les as données, ces fleurs ! Peste ! quelles enchères ! Il faut que tu aies tourné toutes ces têtes-là, mon cher, pour obtenir un résultat pareil !

Le jeune homme sourit, avec un peu de raillerie.

Je suis la bête curieuse du moment et j’en profite. Ce que je leur ai fait donner là sera autant de moins qu’elles dépenseront en futilités… Maintenant, je vais à mon tour vider mon portefeuille, car je n’ai pas encore eu le loisir de m’arrêter à un seul comptoir.

Horriblement ruineuses, ces corvées-là ! Lady Elville vient de me dévaliser. Méfie-toi de son habileté à entortiller les gens. Ce pauvre Vorskoff en sait quelque chose, lui aussi. Elle l’a gentiment plumé en lui vendant à gros prix d’affreuses petites peintures.

Henry répliqua, tout en effleurant d’une caresse les boucles blondes d’Henriot, qui allait s’éloigner avec sa gouvernante :

Cela ne lui coûtera pas autant qu’un des bibelots soi-disant authentiques dont il encombre à jet continu son appartement, et les pauvres en profiteront, au moins.

Oh ! évidemment ! Son budget ne sera sans doute pas déséquilibré pour cela et il pourra encore, sans se gêner, prêter à Mme de Rambuges.

Henry, en faisant quelques pas, demanda distraitement :

Elle lui emprunte de l’argent ?

Il paraît. Aujourd’hui, elle avait perdu sa bourse. L’autre jour, c’était une autre raison. Vorskoff se laisse ensorceler… Un peu… aventurière, peut-être, cette jeune femme !… Et d’un charme inquiétant. Elle tourne beaucoup autour de toi. Il est heureux que tu sois invincible !

Henry eut un sourire dédaigneux.

Oh ! complètement invincible, je vous l’affirme !

Les deux hommes se mêlèrent au remous, le long de la galerie. Presque à chaque comptoir, M. de Gesvres s’arrêtait, car la plupart des vendeuses étaient des relations de sa mère. Doña Luisa essaya de le retenir… Mais il ne parut pas s’en apercevoir. Une seule femme, ici, occupait sa pensée… Et, sans vouloir remarquer les avances qui lui étaient faîtes, il arriva au comptoir de Mme de Terneuil, très entouré.

Car la beauté, la grâce de Yolaine faisaient sensation. Silas Holster, un jeune Américain cousin de Mlle Faravès, ne s’éloignait pas des alentours et ne quittait guère des yeux la jeune fille. Yolaine, sans s’apercevoir de son succès, servait chacun avec une simplicité souriante et des mouvements vifs et doux, pleins de naturel. À la vue d’Henry, ses yeux s’éclairèrent d’une émotion soudaine et le sourire se fit plus charmant encore, sur ses lèvres et dans son regard.

Que nous achetez-vous, monsieur ?

Ce que vous voudrez, mademoiselle. Choisissez-moi quelque chose, à votre goût.

Elle prit un fin mouchoir brodé et le lui présenta.

Voulez-vous ceci ?

Il demanda à mi-voix :

Est-ce votre ouvrage ?

Non, pas celui-ci.

Donnez-m’en un brodé par vous.

La chaleur ayant déjà empourpré les joues de Yolaine, celles-ci ne pouvaient rougir davantage. Mais les cils bruns tremblèrent sur le regard confus, qui se baissait sous celui d’Henry, si mystérieusement doux.

Voici… Il n’est pas aussi joli que l’autre…

Il l’est infiniment plus à mes yeux.

Ce petit colloque, presque chuchoté, n’avait pu passer inaperçu, pour les gens toujours à l’affût des faits et gestes du prochain. Déjà, la fantastique enchère de doña Luisa avait plus que jamais concentré l’attention générale sur ce beau duc de Gesvres, objet d’un si violent engouement. En le voyant s’attarder près du comptoir où vendait Mlle de Rambuges et continuer à causer avec elle, en remarquant qu’il glissait le petit mouchoir dans une poche de son vêtement, alors qu’il avait fait emporter par un domestique les autres menus objets achetés jusqu’ici, on en conclut que la rare beauté de la jeune fille avait enfin raison de son indifférence.

Silas Holster, le front assombri, s’était rapproché. Le baron Garnaux, qui suivait son manège d’un air amusé, vint à lui et chuchota à son oreille :

Flirt sans conséquence ! Elle est pauvre et M. de Mayonne veut pour son fils un mariage riche.

La physionomie de l’Américain s’éclaira. Il dit sur le même ton :

Je croyais que M. de Gesvres ne flirtait jamais ?

Oh ! il se le permet peut-être, une fois par hasard ! La jeune personne est si jolie !

Silas murmura :

Merveilleuse ! Et c’est sa tante, paraît-il, cette blonde en costume fauve, là-bas ?

Oui, la comtesse de Rambuges… Voulez-vous que je vous présente ?

Très volontiers.

Nadiège, entourée d’une petite cour masculine, accueillit le jeune Américain sans empressement. Elle était secrètement nerveuse, inquiète. Tous ces gens lui importaient si peu ! Elle aurait voulu s’attaquer aux pas de M. de Gesvres, le forcer à lui accorder un peu d’attention. Une colère jalouse lui montait au cerveau, quand elle le voyait s’entretenir avec une autre femme. Et elle ne put réprimer un tressaillement, lorsque le comte Vorskoff lui dit à mi-voix :

Eh ! eh ! M. de Gesvres a l’air de trouver votre charmante nièce fort à son gré, chère madame !

Les lèvres sinueuses se serrèrent, et les mains fines tremblèrent un instant dans le manchon fauve.

La jeune femme demanda presque brusquement :

À quoi voyez-vous cela ?

Voilà au moins un quart d’heure qu’il est près du comptoir de Mme de Terneuil, très occupé à causer avec Mlle de Rambuges — qui est vraiment idéale, entre parenthèses.

« Gaffeur ! » pensa le baron Garnaux.

Les sourcils pâles se rapprochèrent au-dessus des paupières très blanches, qui battaient légèrement. La jeune femme dit avec calme :

Yolaine est une gentille enfant, et il n’est pas étonnant que M. de Gesvres se plaise à lui faire un brin de cour. Mais cela ne peut aller plus loin, car, naturellement, il n’épouserait pas une femme sans dot.

Oh ! je le suppose ! Dans sa situation, il peut se permettre les plus hautes ambitions. Et son père serait là pour le lui rappeler, au cas où il voudrait l’oublier.

Oui, il paraît qu’il fonde sur cet aîné les plus orgueilleux espoirs. Ah ! j’y pense, il faut que j’aille voir si la princesse Seskine a encore un peu de cette dentelle que je lui ai achetée tout à l’heure. Elle est assez jolie… et pour les orphelins, on peut bien la payer le double de ce qu’elle vaut !

Elle souriait, en se levant. Sa mince personne se glissa entre les groupes, le long de la galerie. Le comptoir de la princesse Seskine se trouvait à l’extrémité, près de celui de Mme de Terneuil. Nadiège, d’un coup d’œil, constata que M. de Gesvres n’était plus là. Elle feignit de regarder les dentelles pendant un moment, parut ennuyée qu’il n’en restât plus de celle qu’elle désirait, puis s’éloigna, les yeux chercheurs, telle une chatte aux aguets. Apercevant M. de Mayonne, elle s’avança vers lui :

Tout à fait réussie, cette fête, monsieur le duc ! Mme de Mayonne s’entend admirablement à organiser cela.

Oui, ce n’est pas mal. Je crois que la recette sera magnifique.

Sans aucun doute ! Et cela, grâce à M. de Gesvres. Cette vente aux enchères était une idée géniale !

Elle rit doucement.

Et sa conférence, quel succès ! Vous devez être fier de lui, monsieur ?

Oh ! certes ! J’en conviens sans fausse modestie, comme vous voyez.

Et vous avez bien raison ! Il est tellement supérieur, de toutes façons ! Mais prenez garde…

Un sourire glissa entre ses lèvres, et son regard se cacha sous les paupières mi-closes.

Prenez garde qu’il ne se laisse attendrir par quelque joli visage, par de beaux yeux mélancoliques…

Elle s’interrompit encore, guettant la surprise sur la physionomie de son interlocuteur. Puis, plus bas, d’un ton de confidence, elle reprit :

Je ne voudrais pas que vous me croyiez l’instigatrice de ce petit… flirt qui semble s’ébaucher…

Un flirt ? Quel flirt ?

Celui de M. de Gesvres avec ma nièce. Oh ! je crois qu’il ne faut pas y attacher beaucoup d’importance. Yolaine est une enfant, qui ne peut plaire véritablement à un homme comme lui. Mais enfin, on ne sait jamais… Les hommes sérieux se laissent parfois prendre par ces petites filles naïves en apparence. Or, un tel mariage serait impossible, je le reconnais la toute première et je tiens à vous le dire, très loyalement.

M. de Mayonne murmura :

Ah ! par exemple !… Henry aurait distingué Mlle de Rambuges ? Après tout, elle est suffisamment séduisante pour cela ! Mais, en effet, il n’y a pas à songer… pas à songer une minute qu’il arrête son choix sur elle !

N’est-ce pas ? Aussi ai-je tenu à vous prévenir… discrètement. De mon côté, je vais essayer d’empêcher que ma nièce aille si souvent chez les Terneuil. C’est là qu’elle le rencontre… Soyez assuré que je ferais tout pour arrêter ce flirt, qui ne peut aboutir à rien.

À rien, en effet. Vous avez fort bien compris, madame, mes légitimes ambitions paternelles, et je vous remercie de m’apporter votre aide pour nous épargner à tous de grands ennuis.

Au fond, M. de Mayonne ne se méprenait pas sur la raison qui faisait agir Mme de Rambuges. Mais étant donné ce soupçon qu’elle venait d’éveiller en lui, il songeait qu’au cas où elle aurait vu juste, il trouverait pour éloigner Yolaine de son fils une alliée puissante en cette jeune femme très éprise d’Henry, et certainement possédée par la jalousie.

Cette révélation l’ennuyait beaucoup. Comme tous, la délicieuse beauté de Yolaine, son charme très aristocratique l’avaient frappé. Si Henry s’avisait de l’aimer, il serait difficile de la lui faire oublier…

Mais peut-être Mme de Rambuges s’était-elle laissée emporter là par son imagination ? Henry avait un cœur très calme, très peu inflammable… Qu’il trouvât cette jeune fille charmante, c’était naturel. Mais de là à l’amour…

M. de Mayonne chercha des yeux son fils. Mais il ne l’aperçut pas… Les salons, la galerie se vidaient peu à peu. Les vendeuses commençaient de quitter leurs comptoirs dégarnis et, en causant, se dirigeaient vers le petit salon de Mme de Mayonne où des rafraîchissements allaient leur être servis, ainsi qu’aux intimes de la maison.

M. de Terneuil surgit tout à coup près de sa femme, qui finissait de compter sa recette, avec l’aide de Yolaine. Il lui dit à l’oreille :

Henry nous attend dans le jardin d’hiver. Nous allons prendre le Champagne à nous quatre, bien tranquillement. Esquivez-vous vite à l’anglaise.

Fabienne murmura : “Compris”, en souriant d’un air entendu. Et, quelques minutes plus tard, elle entraînait Yolaine vers le fond de la galerie ou une petite porte boisée donnait accès dans un long couloir qui, lui-même, conduisait au jardin d’hiver. La porte faisant communiquer celui-ci avec l’un des salons était fermée aujourd’hui. Mme de Mayonne ne se souciant pas que la cohue des étrangers vînt porter dommage à ses plantes rares. Un rideau de feuillage couvrait la séparation vitrée en interceptant les regards curieux. Quelques lampes électriques seulement étaient allumées et cette lumière douce donnait un aspect de mystère à ce jardin clos et tiède où flottaient de suaves parfums.

Un domestique apporta du Champagne et des pâtisseries. Henry, très gai, fit les honneurs de ce goûter… Yolaine regardait avec ravissement autour d’elle. Ce jardin d’hiver lui paraissait une merveille. Et comme l’atmosphère semblait ici plus légère, moins étouffante — au physique et au moral — que dans la galerie et les salons pleins d’une foule élégante, trop parfumée, qui lui était si étrangère, de toutes façons ! Fabienne, à haute voix, déclara ce que la jeune fille pensait tout bas :

Comme cette petite halte est reposante, en sortant de là-bas !

Jacques approuva :

Oui, car on ne respirait plus ! Mais on doit se demander, Henry, ce que nous sommes devenus ? Comment vas-tu expliquer ?…

Oh ! je trouverai bien quelque chose, ne t’inquiète pas !

Fabienne dit en riant :

M. de Gesvres sait bien que tout est permis aux hommes célèbres, comme aux souverains.

Il riposta gaiement :

Je n’ai pas la sotte prétention de me croire un homme célèbre — ce qui ne me dispenserait pas d’ailleurs des devoirs habituels à tout homme bien élevé. Mais cette petite éclipse me tentait vraiment Et d’ailleurs, j’en donnerai une raison valable… Voulez-vous voir de plus près ces plantes, et nos roses, mademoiselle ?

Avec grand plaisir, monsieur. J’aime tant les fleurs !

Jacques déclara :

Moi, mon cher, je vais boire encore une coupe de Champagne, à ta santé, futur académicien.

Merci du souhait. Mais il ne se réalisera pas de si tôt.

Qui sait. ! Tu reformeras le parti des ducs, sous la coupole… Mademoiselle, un peu de Champagne ? Non ?… Vous aimez mieux aller admirer les roses de Mme de Mayonne ?… C’est un goût que je comprends, pour une jeune fille.

Il sourit un peu malicieusement, en voyant Henry et Yolaine s’éloigner, entre les palmiers qui étendaient au-dessus d’eux l’éventail de leurs feuilles.

Fabienne murmura :

Quel couple admirable !

Il approuva, à mi-voix :

Oui. Ils sont dignes l’un de l’autre.

Mme de Mayonne avait fait planter, dans ce jardin d’hiver, des rosiers qui avaient remarquablement prospéré. Dirigés par un jardinier habile, ils formaient voûte ou s’enroulaient autour de colonnettes légères. L’un d’eux tapissait une des parois. Un autre enserrait de ses longs cordons un vase de marbre rosé, dressé sur un socle. Ses fleurs étaient d’un jaune pâle et satiné qui se teintait de rose sur les pétales du centre. Yolaine dit avec admiration :

Oh ! que j’aime celles-ci !

Ce sont aussi mes préférées. Ma mère a l’affectueuse attention de me les réserver et elle en fait toujours orner mon bureau.

Il s’écarta un peu, prit un sécateur posé sur une petite table voisine et revint au rosier. Deux fleurs tombèrent, Henry présenta l’une d’elles, à peine ouverte, à la jeune fille…

Voulez-vous me permettre de vous l’offrir, mademoiselle ?

Elle remercia, en rougissant. Ses doigts, un peu tremblants, glissèrent la rose à son corsage.

Henry ne la quittait pas du regard. Il frémissait d’une joie profonde, enivrante. Toute l’ardeur de sa jeunesse s’élançait vers cette créature charmante, qui serait pour lui la fiancée rêvée, l’épouse aimée avec les réserves magnifiques d’un cœur jalousement préservé. L’âme délicate, aimante, qu’il avait devinée en elle, trouverait près de lui la protection et le tendre respect dont elle avait besoin. C’était aussi une petite âme courageuse, très pure, et d’une rare droiture. Jamais, en aucune de leurs rencontres, il n’avait pu discerner chez elle une fausse note. Et toutes les préoccupations de vanité, de coquetterie semblaient lui être inconnues.

Elle aurait eu beau jeu, cependant, en ce moment. Son regard, en se relevant, rencontrait la flamme chaude des yeux superbes, émus et graves… Yolaine, de nouveau, baissa les siens, et ses cils tremblèrent sur la joue empourprée.

Il la vit gênée, frissonnante d’émoi. Et il pensa avec ravissement :

« Ah ! que vous êtes une chère petite âme blanche, vous, ma douce Yolaine ! »

Fabienne et Jacques se rapprochaient. Henry offrit la seconde rose à la jeune femme, qui parut charmée de ce présent.

Nous allons faire des jalouses, avec cela ! Et dire que cette pauvre doua Luisa a payé la sienne une telle somme !

Jacques dit en riant :

Henry les vend très cher ou bien il les donne. C’est également très grand seigneur… Nous passons par ici ?

Cette question s’adressait à M. de Gesvres qui, ayant pris une clef dans sa poche, l’introduisait dans la serrure de la porte faisant communiquer le jardin d’hiver avec le salon voisin.

Certainement. Nous n’avons pas à nous cacher, j’imagine ?

Ce salon était précisément celui de la duchesse, où se groupaient en ce moment ses invités. L’apparition d’Henry et de ses amis produisit quelque sensation.

M. de Mayonne s’écria :

Nous nous demandions ce que vous deveniez ! Vous étiez dans le jardin d’hiver ?

Mais oui, mon père. Je voulais montrer à Mlle de Rambuges les roses de ma mère. Et il y faisait si bon, au sortir de cette galerie étouffante, que nous nous y sommes un peu attardés.

Le regard de M. de Mayonne glissa de son fils à Yolaine et s’assombrit D’autres regards encore, avides, malveillants — des regards de femmes — s’attachaient sur la jeune fille, sur la rose qui tremblait à son corsage. Entre les cils pâles de Nadiège passa une lueur mauvaise.

La jeune femme se leva, en ramenant sur ses épaules la fourrure fauve rejetée en arrière.

Puisque voici ma nièce, je vais maintenant me retirer, madame la duchesse. Cet après-midi a été extrêmement agréable pour moi, et je vous remercie de m’y avoir fait participer.

Elle salua gracieusement, serra les mains tendues, échangea en souriant avec les uns et les autres de menus propos aimables.

M. de Gesvres s’inclina avec un bref “je vous remercie, madame”, en réponse à la phrase d’une amabilité câline destinée à lui faire connaître l’impression ineffaçable produite sur la jolie veuve par sa conférence. Et les deux femmes quittèrent le salon, reconduites par Henry et Pierre. Au seuil du vestibule, Nadiège tendit la main à chacun d’eux. Henry la serra légèrement, comme de coutume, tandis que le cadet la baisait avec empressement.

La voix chantante prononça :

À bientôt, n’est-ce pas ?… Vous ne voulez donc pas m’accorder la faveur de vous offrir de nouveau une tasse de thé, monsieur le duc ?

Son regard implorait, humblement. Henry répondit avec froideur :

Je ne crois pas que mes occupations me laissent la possibilité de le faire, madame.

Essayez… essayez, je vous en prie ! Vous me causeriez un tel plaisir ! Et je souhaiterais vous demander votre avis au sujet d’airs russes, très anciens, que j’étudie en ce moment. Ma nièce m’a dit que vous étiez un remarquable musicien.

Mlle de Rambuges est trop indulgente. Et mes conseils, je le crois, vous seraient bien inutiles, madame.

Je suis persuadée du contraire… Au revoir… Et ne m’oubliez pas !



À suivre...

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