Chapitre XIV

Chapitre XIV

Vers dix heures, le lendemain, M. de Gesvres revint au vieux château. Le bruit du décès avait déjà commencé à se répandre dans le village et quelques personnes montaient jusqu’à la demeure si bien close jusque-là, où, cependant, le prêtre et le médecin avaient pu pénétrer la veille, où peut-être on laisserait entrer aujourd’hui les gens du pays, selon l’usage, pour prier près du défunt.

Et ils entrèrent en effet. Ils virent le vieux monsieur étendu sur son lit, très beau, très calme, avec un crucifix entre les doigts. Ils aperçurent la belle jeune fille que certains d’entre eux avaient entrevue, l’année précédente, quand elle se promenait dans la forêt avec Mme de Rambuges, et l’étranger de si fière mine qui avait été pendant près d’un mois l’hôte du marquis de Terneuil. Ce fut, au village, toute une éclosion de commentaires, que Guideuil se chargea de mettre au point en apprenant à tous que M. le duc de Gesvres avait chassé de Rochesauve la dame de la Sylve-Noire, pour y établir à sa place Mlle de Rambuges, sa fiancée.

Et grâce à lui, le vieux monsieur est mort en bon chrétien, conclut-il. Quant à la sorcière de là-bas, je suppose qu’elle n’aura pas l’idée d’y revenir. Du reste, je suis chargé par M. le duc d’aller voir cet après-midi si elle a décampé, avec ses domestiques qui doivent être aussi canailles qu’elle.

Sans doute, Nadiège avait-elle réfléchi, depuis la veille, car Guideuil trouva portes et fenêtres closes. Et à la gare, il apprit que Mme de Rambuges et ses deux serviteurs avaient pris des billets pour Genève. Il vint rendre compte de sa mission à Henry, vers la fin de l’après-midi.

Le jeune homme se trouvait encore à Rochesauve où, avec le curé, il avait tout décidé pour les obsèques. Il finissait d’écrire au notaire de Besançon chargé des intérêts du défunt, quand le garde entra… Derrière celui-ci se glissa Yolaine, qui laissa échapper un soupir de soulagement en apprenant que Nadiège était déjà loin maintenant.

Cette femme m’était odieuse, avoua-t-elle à Henry quand Guideuil se fut retiré. J’essayais parfois de me raisonner, en me disant qu’une telle antipathie était bien peu chrétienne… mais je ne pouvais pas.

Elle s’appuyait au dossier sculpté, très haut, du fauteuil dans lequel était assis Henry, devant le bureau du défunt. Le jeune homme, à demi tourné, levait un peu la tête pour la regarder. Il prit sa main et la porta tendrement à ses lèvres.

C’était le mal que vous détestiez en cette femme, ma blanche petite Yolaine. Les âmes très pures ont de ces répulsions instinctives.

Vous aussi, Henry, vous vous êtes défié d’elle dès le premier jour.

Elle frissonna un peu, en ajoutant :

Heureusement !

Oui, heureusement ! Cette femme a dû faire bien du mal… Mais ne parlons plus d’elle, ma chère Yolaine. C’est un mauvais souvenir, que nous nous efforcerons d’oublier très vite. Je vais fermer cette lettre et la donner à mon chauffeur, pour qu’il la porte à la poste. Puis je vous quitterai jusqu’à demain.

Elle dit d’un ton de désappointement :

Oh ! vous ne restez pas dîner ?

Non, il est préférable que je retourne à Rameilles. Vous êtes seule ici avec des domestiques, et l’on pourrait trouver à redire si j’y demeurais trop longtemps. Je reviendrai demain, dans la matinée.

Il plia la lettre, la mit sous enveloppe et cacheta celle-ci. Puis il se leva… Son regard rencontra celui de Yolaine, tendre et attristé. Il prit la main de la jeune fille en disant avec un sourire très doux :

Bonsoir, ma fiancée chérie. Reposez-vous bien, cette nuit. Car je défends que vous veilliez !

Oh ! si, je resterai jusqu’au matin près de ce pauvre oncle !

Non, il ne le faut pas, Yolaine. Ces émotions vous ont fatiguée, vous avez une pauvre petite figure toute tirée…

Son bras entourait les épaules de la jeune fille, son regard caressant et attendri s’attachait au visage altéré, aux beaux yeux veloutés qu’un cerne entourait.

… Je défends que vous veilliez, vous entendez. M. le curé doit envoyer une religieuse… Vous m’obéirez ?

Il le faut bien ! Vous parlez comme un maître… déjà ! Que sera-ce donc, plus tard ?

Elle souriait, de ce sourire ému, un peu tremblant, qu’elle avait quand Henry la regardait ainsi, avec cette ardente tendresse. Et dans ses yeux, où se plongeaient ceux de son fiancé, l’amour candide et profond, l’amour soumis s’avouait ingénument.

Le jeune visage délicieux, palpitant d’émoi, était tout près des lèvres d’Henry… Celui-ci se domina, d’un énergique effort ; il s’interdit ce baiser qui aurait surpris et troublé Yolaine, si simplement confiante. En laissant retomber son bras, il répondit avec un sourire :

Plus tard, ce sera peut-être moi qui vous obéirai, Yolaine.

Elle protesta, avec un élan qui révélait toute l’admiration et la confiance que lui inspiraient le caractère, l’intelligence, la haute valeur morale de son fiancé :

Oh ! non ! Près de vous, je ne serai qu’une petite fille, que vous enseignerez, que vous guiderez.

Vous ne resterez pas toujours une petite fille, ma chérie. Vous deviendrez ma compagne, mon aide, ma confidente… Mais pour le moment, soyez petite fille, je le veux bien, afin de m’obéir.

Ils quittèrent le cabinet de M. de Rambuges et entrèrent dans la chambre mortuaire. Henry pria un moment près du défunt, puis sortit et appela son chauffeur, auquel il remit la lettre pour le notaire… Comme il allait prendre congé de Yolaine, Céline Bourlatte surgit près d’eux. Toujours calme, elle demanda :

Est-ce que Mademoiselle et Monsieur le duc pourraient m’entendre un instant ? J’aurais quelque chose de très important à leur apprendre.

Mais oui… N’est-ce pas, Yolaine ? Venez ici.

Ils rentrèrent dans le cabinet. Alors, sans préambule, la femme commença :

C’est par rapport au trésor…

Henry eut un brusque mouvement.

Le trésor ?… Voyons, est-ce qu’il existe réellement ?

J’ai tout lieu de le croire, Monsieur le duc. D’abord, il y a le papier du comte Martin… Voici comment il fut découvert. Un jour, Bourlatte arrangeait des pierres qui se descellaient, dans la grande cave de la tour, celle où il y a des oubliettes. L’une d’elles vint à lui. Il s’aperçut qu’elle était creuse et qu’elle contenait un étui d’argent. Ayant ouvert celui-ci, il y trouva un papier jauni sur lequel étaient écrites quelques lignes, en vieux français, comme nous l’apprit M. le comte à qui nous allâmes porter aussitôt notre découverte. Près de lui, justement, ce jour-là, se trouvait M. Guillaume qui venait d’arriver à la Sylve-Noire après une scène avec sa femme. Il lut le papier… Malheureusement, je ne l’ai plus. Mme de Rambuges se l’est fait donner par M. le comte. Mais je me rappelle à peu près les mots :

« Ceux de mes descendants qui voudront entrer en possession de mon trésor des Indes n’ont qu’à le chercher patiemment, sans relâche. Il est caché dans mon château de Rochesauve. Je souhaite qu’il leur donne le bonheur qu’il ne m’a jamais procuré, à moi,

« Martin de Rambuges. »

Et c’était tout ?

C’était tout, monsieur le duc. Aussitôt, M. Guillaume se mit à chercher, avec l’aide de Bourlatte. Ils fouillèrent, sondèrent partout. Puis, sur ces entrefaites, quelques jours plus tard, la jeune femme arriva, ensorcela de nouveau son mari qui parut oublier le trésor, dont il disait maintenant : “C’est une mystification.” Et M. le comte était du même avis. Mais M. Guillaume raconta sans doute l’histoire à sa femme, qui, elle, pensa autrement. Devenue veuve, elle vint se fixer à la Sylve-Noire et on la vit tous les jours ici, cajolant le pauvre monsieur, se rendant peu à peu indispensable, commandant comme chez elle. Je puis dire qu’au bout de quelques mois, M. le comte n’avait plus sa volonté libre. Elle le faisait agir comme un petit enfant… Et il fallait que je me taise, que j’aie l’air d’être sa complice, car sans cela elle m’aurait renvoyée, et alors, qui eût veillé aux intérêts de la fille de M. Bernard ?

D’un geste spontané et charmant, Yolaine tendit ses deux mains à la servante. Céline se pencha et les baisa. Quand elle releva sa tête, des larmes mouillaient son regard.

M. Bernard était aimable et bon, et mademoiselle lui ressemble. J’ai tout supporté dans l’espoir que la misérable verrait échouer ses mauvaises manœuvres et que Rochesauve resterait à la fille de mes maîtres. Dieu a permis que ce jour arrive… Enfin ! Et je puis, seule au monde, je pense, faire connaître à Mademoiselle le lieu où doit se trouver ce trésor, vainement cherché par M. Guillaume, puis par cette femme, qui a tout exploré avec son domestique — même que j’avais tellement peur qu’elle ne découvre le bon endroit, par hasard !

Henry s’écria :

Ah ! voilà donc pourquoi elle tenait à l’héritage de M. de Rambuges ! Je ne m’expliquais pas, sans cela, qu’elle risquât tant pour si peu de chose… Et, d’autre part, je considérais cette histoire de trésor comme une légende.

Je dois dire à monsieur le duc que je ne l’ai pas vu. J’ai découvert une porte solide, et bien fermée, derrière laquelle je suppose qu’il se trouve.

Ah ! bon ! Alors, il n’y a rien de sûr ?

Yolaine, qui écoutait avec des yeux brillants d’intérêt, dit d’un ton mi-souriant, mi-désappointé :

Il ne faut peut-être pas y compter beaucoup, sur ce fameux trésor, pour ne pas avoir de désillusions.

Céline secoua la tête.

Moi, j’y ai toujours cru, mademoiselle. Mais enfin, chacun son idée. Comme dit Mademoiselle, il vaut mieux conserver des doutes.

Et M. de Rambuges ignorait cette cachette ?

Lui comme tout le monde, mademoiselle. Et ce fut un hasard qui me la fit découvrir… Tout enfant, j’étais une nature secrète, aimant la solitude et je n’avais pas de plus grand plaisir que de parcourir les greniers et les caves du château, en furetant dans les petits coins. Mon père me grondait souvent à ce sujet, parce qu’il avait peur que je tombasse dans les oubliettes ou dans le vieux puits de la tour Blanche. Il fermait à clef les portes des caves, et celle du souterrain qui conduit très loin dans le pays. Mais je me glissais entre les grilles des soupiraux, car j’étais mince comme un fil, et agile ! Rien ne me faisait peur, j’étais là, dans cette obscurité humide, comme dans mon domaine, et je m’amusais de voir fuir à mon approche les rats énormes qui pullulaient en dépit de tous les pièges tendus par mon père.

« Mon refuge de prédilection était la grande cave voûtée, au milieu de laquelle se trouve le puits qui approvisionnait d’eau les habitants du château, au temps jadis, quand Rochesauve était assiégé. Dans un enfoncement profond, je me blottissais avec mon chien entre les bras. Et là, je rêvais des aventures terribles, qui me faisaient frissonner. J’aimais beaucoup cette peur-là. Aujourd’hui, je pense que j’étais une drôle de petite fille, pas comme les autres. Mais enfin, cela m’a servi… Car un jour, comme je m’appuyais au mur du renfoncement, voilà que je sentis une des énormes pierres dont il était formé qui remuait, basculait… Je n’eus que le temps de m’écarter. Une ouverture apparaissait devant moi. Elle était sombre, et une odeur d’humidité s’en échappait. D’abord, je restai stupéfaite. Puis je m’avançai curieusement… Après une courte hésitation, je m’y engageai, précédée de mon chien. J’allais avec précaution. L’escalier s’enfonçait profondément dans le sol — ou plutôt dans le roc sur lequel est bâti Rochesauve. Puis je me heurtai à un obstacle que, par le toucher, je reconnus être une porte. Alors je remontai et je m’assis près de l’ouverture pour réfléchir… Connaissait-on l’existence de cet escalier ? En tout cas, je n’en avais jamais entendu parler. Qu’y avait-il derrière cette porte ? Mon imagination partait en campagne, aussitôt je voyais, tour à tour, des mystères merveilleux et terribles. Pour que l’ouverture fût si secrète, et la porte si bien close, il fallait qu’une chose extraordinaire fût enfermée là.

« Et comment allais-je refermer la pierre ?… Je la touchai, elle ne bougea pas. Alors je remarquai un petit ressort. Quand je l’eus soulevé, d’un geste hésitant, je vis la pierre se remettre en place lentement. Lorsque ce fut fait, j’essayai de nouveau de l’ouvrir. Après quelques tâtonnements, je retrouvai le point vulnérable. Aussitôt, je fis là une marque reconnaissable pour moi seule et je quittai la cave, intriguée et ravie… Car j’avais un secret, et j’étais résolue à le garder. Plus d’une fois, depuis lors, j’ai redescendu l’escalier mystérieux. À la lueur d’une lanterne, j’ai examiné la porte, qui est massive, avec une serrure forte et rouillée. Jamais un mot de cette découverte n’est sorti de mes lèvres. Et quand j’entendis M. Guillaume lire le papier du comte Martin, ce fut en moi-même seulement que je dis : “Le trésor doit être là.

Elle parlait tranquillement, nettement, toujours sans émotion apparente. Et devant cette femme si calme, si maîtresse d’elle-même, si peu disposée aux paroles inutiles, on se représentait bien la petite fille silencieuse et amie du mystère qui avait gardé ce secret, pour l’avoir à elle seule et en amuser son imagination.

Henry demanda :

Vous n’avez jamais essayé d’ouvrir cette porte ?

Céline eut un demi-sourire.

Je ne suis pas très curieuse, monsieur le duc, mais tout de même !… Oui, j’ai essayé, sans succès. Je tentai d’introduire dans la serrure toutes les clefs que je pus trouver à travers le château ; mais ce fut en vain. Je pense donc qu’il serait bon de demander un serrurier ? Il y en a un au village, qui est un brave homme, pas bavard.

Oui, ce sera utile. Il faut que nous nous rendions compte promptement de ce qui peut exister derrière cette porte… Mais qu’il y ait ou non quelque chose, nous vous remercions de votre discrétion, du dévouement dont vous avez fait preuve à l’égard de la dernière des Rambuges — et croyez bien que nous ne l’oublierons jamais.

Avec la dignité simple qui la caractérisait, Céline Bourlatte répondit :

Je n’ai fait que mon devoir, monsieur le duc, et j’en suis récompensée en voyant Mlle Yolaine, maîtresse ici, après avoir tellement eu peur que ce fût l’autre !

Quand elle eut quitté la pièce, Yolaine saisit la main de M. de Gesvres.

Oh ! Henry, quelle aventure ! C’est un conte de fées !… Pourvu qu’on trouve ce trésor !

Eh quoi ! ma petite Yolaine est-elle si intéressée ?

Elle le regarda d’un air de reproche.

Vous ne le croyez pas, dites ? Vous comprenez bien ma pensée ? Je souffrais un peu à l’idée d’entrer, pauvre, dans votre famille. Et je sais bien que M. de Mayonne aurait voulu une bru très riche. Il a cédé devant votre insistance… mais il me verra devenir votre femme sans enthousiasme. Alors, si on trouve ce trésor… je serai peut-être riche…

Et moi je serai peut-être trop pauvre pour vous, ce qui froissera mon orgueil.

Il parlait d’un ton mi-sérieux, mi-souriant… Dans le regard de la jeune fille, une clarté ardente passa. D’un accent fervent, Yolaine dit lentement :

Vous serez toujours pour moi celui qui m’a choisie pauvre, isolée, malheureuse, quand toutes les ambitions vous étaient permises. Et je sais bien qu’à vos yeux, je ne vaudrai pas davantage parce que j’aurai une grosse fortune. Henry, il en sera ce que Dieu voudra ; mais que ce trésor existe ou qu’il soit un mythe, nous nous aimerons autant, n’est-ce pas ?

Il appuya ses lèvres frémissantes sur les doigts délicats, en murmurant passionnément :

Ah ! ma bien-aimée, l’argent n’a rien à faire entre nous !… Et je suis si heureux de sentir en vous tant de confiance à mon égard !

* * *

À dix heures, le lendemain, M. de Gesvres et Yolaine descendaient aux caves de Rochesauve, accompagnés de Céline Bourlatte et du serrurier. Dans la grande cave de la tour Blanche, ils virent le puits, au fond duquel palpitait toujours une eau vive jaillie des profondeurs de la roche. Puis ils gagnèrent le renfoncement, où Céline fit basculer la pierre… Tous s’engagèrent dans l’escalier étroit et se heurtèrent à la porte close. Le serrurier, éclairé par la lanterne de Céline, s’attaqua aussitôt aux serrures puissantes. Il n’en vint pas à bout sans mal.

« Et ces gens-là faisaient un rude travail ! » déclara-t-il en essuyant son front couvert de sueur…

Enfin, l’énorme serrure céda et la porte massive s’ouvrit avec un effroyable grincement. Henry ordonna :

Laissez-moi entrer seul, d’abord. L’air peut être mauvais…

Il avança avec précaution, en élevant une lampe au-dessus de sa tête… Et il vit devant lui une grande salle, dont la voûte était soutenue par des piliers trapus. L’obscurité la plus complète s’y étendait Mais aucune émanation méphitique ne s’exhalait de l’atmosphère humide, et Henry déclara :

Vous pouvez entrer.

Ils avancèrent lentement. La lampe et la lanterne jetaient de fantastiques clartés, l’une en haut, l’autre en bas, sur les piliers sombres, sur les profondeurs obscures… Et tout à coup, Henry s’arrêta avec une légère exclamation. La lueur de sa lampe venait éclairer, sur le sol, des ossements couverts de mousse.

Mme Bourlatte murmura :

L’Indienne, peut-être… La jeune femme que le comte Martin avait amenée et qui disparut dès avant sa mort.

Alors, il l’aurait tuée !

À moins qu’elle-même se soit donné la mort, monsieur le duc ? Cela, nous ne le saurons jamais, sans doute.

Yolaine, très émue par cette évocation lugubre, glissa une main frissonnante sous le bras de son fiancé. Celui-ci demanda :

Voulez-vous remonter, ma chérie ? Céline vous accompagnera.

Oh ! non, non ! Avec vous, je n’ai pas peur.

Céline dit à mi-voix :

On dirait des caisses, là-bas…

Ils s’approchèrent… Oui, trois coffres s’alignaient au fonds de la salle, trois vieux coffres rongés par l’humidité. Les serrures ne tenaient plus et Henry souleva sans difficulté le couvercle de l’un d’eux.

Des exclamations résonnèrent dans la salle souterraine.

La lumière venait de faire jaillir mille feux des pierres entassées là : diamants, rubis, émeraudes — tout le trésor de Golconde.

Yolaine murmura :

Ainsi, c’était vrai !

Henry ouvrit le coffre suivant. Il contenait de l’or, de l’argent, en petits lingots. Le troisième renfermait des étoffes, autrefois magnifiques, sans doute, aujourd’hui fort endommagées, puis des bijoux curieusement travaillés ornés de pierres précieuses et une petite idole en or massif, dont les yeux étaient faits de deux rubis admirables.

Un papier jauni attira l’attention d’Henry. Il le prit et lut ces mots, écrits en vieux français :

« Ce coffre renferme les vêtements et les bijoux d’Adrâni, à qui j’ai ordonné de boire le poison, pour qu’elle ne me survive pas. Elle est morte ici, à l’âge de dix-sept ans, sans regretter la vie. »

Il y eut quelques minutes de poignant silence, pendant lequel chacun de ceux qui étaient là évoqua la jeune Indienne, si belle, assurait la tradition, mourant “sans regret”, dans cette salle souterraine, après avoir pris le poison sans doute préparé par son maître… Quel drame s’était passé ici ?… Les murs sombres, les lourds piliers en restaient les seuls et muets témoins.

Yolaine, de nouveau, répéta :

Ainsi, c’était vrai. !… Tout était vrai !…

Elle revint aux ossements… Un objet attira son attention. Elle se baissa et ramassa un bracelet, très oxydé par l’humidité, un bracelet qui semblait fait pour un poignet d’enfant D’autres encore, et des anneaux de chevilles gisaient dans le sable qui couvrait le sol.

Henry avait suivi sa fiancée. Il fit observer :

Ce devait être une frêle créature, cette pauvre Adrâni… Et elle avait sans doute la nostalgie de son pays, dans ce sévère château. Peut-être aussi ce comte Martin était-il un maître dur, despotique et jaloux. En ce cas, il est possible qu’elle ait accepté la mort avec joie, comme le laisse entendre Martin de Rambuges.

Yolaine avait joint les mains ; ses lèvres remuaient. Elle priait pour la jeune Hindoue, si tragiquement disparue, pour l’aïeul coupable qui n’avait pas laissé paraître une marque de repentir, dans les deux courts écrits découverts après tant d’années… Et ce geste si profondément chrétien, à un instant où tant d’autres eussent tout oublié dans le premier éblouissement de cette subite fortune, près de ce coffre plein de gemmes magnifiques, montra à Henry, une fois de plus, comme l’âme de Yolaine était proche de la sienne, et quelle union parfaite serait la leur.

* * *

Le lendemain, après les obsèques, Yolaine partit pour Paris avec la femme de chambre de Mme de Balde, qu’un télégramme de M. de Gesvres avait demandée pour accompagner la jeune fille. Henry demeurait quelques jours encore à Rameilles, afin de mettre en train le règlement des affaires de sa fiancée, et de s’occuper du transport des précieux coffres.

Il apprit à Céline Bourlatte que, d’accord avec lui, Mlle de Rambuges avait décidé de lui donner la somme nécessaire pour acheter un important commerce d’épicerie, ce qu’elle avait avoué être son rêve. Guideuil, de son côté, reçut une princière récompense… Mais tout en remerciant M. de Gesvres, le vieux garde déclara que ce qui le contentait le plus, “c’était que M. le duc eût fait filer du pays la sorcière de la Sylve-Noire”.

Quand Henry repartit chez lui, il fut reçu avec enthousiasme. M. de Mayonne exultait. Le seul point noir de ce mariage — un point énorme à ses yeux — venait de s’évanouir. Cette délicieuse Yolaine devenait une héritière presque aussi bien dorée que Mlle Faravès, et elle avait, de plus, tout ce que l’Américaine ne possédait pas : le nom, la race, une distinction de patricienne, les goûts et les idées d’Henry. C’était la bru rêvée !… On le lui fit bien voir, au cours des fiançailles. Miss Rhul, qui avait agréé la demande de Pierre, passait à un plan très lointain. Toutes les gâteries étaient pour la séduisante fiancée de l’aîné, et parfois Henry disait en riant à ses parents :

Il faut que ma petite Yolaine ait une nature ravissante pour ne pas être grisée, un peu enorgueillie.

À quoi M. de Mayonne ripostait :

Eh bien, elle te ressemble, en ce cas. Toi aussi, tu es étonnant ! Quatre-vingt-dix-neuf sur cent, étant ce que tu es, se montreraient fats, orgueilleux, tout gonflés de leur valeur… Il est vrai que cela leur donnerait l’air un peu ridicule — et cet air-là ne t’irait pas du tout, Gesvres, pas du tout !

Il se montrait de plus en plus affectueux pour son fils aîné, et se laissait volontiers conduire par cette volonté énergique, mais toujours déférente. Mme de Mayonne, de son côté, cherchait prés d’Henry un réconfort à sa lassitude morale, faisait de lui le confident discret de ses regrets, de son désir d’une vie plus utile. Et si tardives que fussent pour lui ces affections longtemps appelées en vain dans le secret de son cœur, Henry en goûtait la douceur ; elles achevaient, à ses yeux, le pur bonheur de ces jours de fiançailles. Seuls, le mariage de Pierre et celui de Françoise, décidés dans une pensée de lucre, jetait une ombre sur sa joie intime, car il savait d’avance que tous deux ne seraient pas heureux.



À suivre...

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